En matière de déplacement, les Cévennes n’échappent à la difficile condition des territoires ruraux. Les transports en commun y sont rares et la voiture incontournable. Alors que les transports à la campagne sont responsables de 43 % des gaz à effet de serre, la nécessité de repenser les modes de déplacements mobilise.
« Tout le monde a une voiture en Cévennes, ce que je peux comprendre. La ligne de bus Florac/Alès fonctionne deux fois par semaine seulement, explique Marie-Claude qui s’apprête à prendre la navette, un jeudi du mois de mars. J’ai dû m’adapter à ces horaires. » De passage en Cévennes, Marie-Claude fait du woofing et se déplace en transport en commun. Elle s’est vite rendue compte des problèmes de mobilité en Cévennes. Peu ou pas de transports collectifs, un pays de montagnes, … la voiture, version auto-solisme (1) reste la reine ! Et sans véhicule, les déplacements sont problématiques. Isabelle, floracoise, fait l’expérience de vivre sans voiture depuis fin 2022. « En tant que particulier, nous avons deux leviers pour réduire notre empreinte carbone : le logement ou les transports. Mais c’est difficile de renoncer à sa voiture sans renoncer à sa mobilité. Au quotidien, je n’en ai pas besoin. Le problème se pose quand je veux sortir de la ville, ne serait-ce que pour aller à la rivière. À Florac, il n’est pas possible de louer une voiture. L’offre de transport en commun est dramatiquement faible. C’est une difficulté, également, pour ceux qui veulent venir me voir. » Marie, qui habite un endroit isolé dans la Vallée Française, ne mâche pas ses mots. « Pour celui qui n’a pas de voiture, c’est la mort sociale ! C’est difficile d’accéder à l’emploi ou aux services administratifs situés à 80 km, soit 1 h 30 de route (2). Sans parler de visiter ses amis ! Sont particulièrement concernés par les problèmes de mobilités, les personnes âgées, les précaires, les jeunes mais aussi ceux qui se voient retirer le permis à la suite d’un test salivaire positif détectant la présence de cannabis. Les contrôles sont très nombreux ici et s’apparentent à de la répression.»
En ce mois de mars, ce que Marie-Claude mesure peut-être moins bien en montant dans le bus, c’est la chance qu’elle a, tout simplement, de pouvoir l’emprunter. En effet, jusqu’à l’automne 2022, la ligne fonctionnait d’avril à octobre, soit uniquement en période touristique. Elle a été maintenue l’hiver 2022-2023 pour la première fois et à titre d’essai.
Des réflexions à l'échelle du PETR
« On peut parler de victoire, souligne Camille Le Bras chargée de mission à l’Agence de mobilité lozérienne, cette ligne on en parlait depuis longtemps, il a fallu se battre. » Avec plus de 300 passagers transportés, « on ne s’attendait pas à ça. C’est un bon début qui peut permettre de relancer la machine des transports en commun, explique Valérie Behr, chargée de mission au Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR). Même si d’après les usagers, les horaires ne correspondent pas toujours aux besoins. » « Le bus ne fonctionne pas le week-end » regrette Isabelle.
Le PETR, qui a servi d’interlocuteur entre les différents acteurs et la Région responsable de la ligne de bus, mène actuellement une réflexion plus large sur la mobilité en sud Lozère. « Le besoin de travailler sur la mobilité a surgi en 2019 alors que le transport à la demande d’utilité sociale, dépendant du Département, a pris fin (3), explique Valérie Behr. Cela a créé un vide. La mobilité est un moyen de contribuer à l’attractivité du territoire, de faire en sorte que les gens restent. Le secteur est vaste, le sujet complexe avec des réalités variées auxquelles on n’apportera pas une, mais des solutions, quitte à devoir mixer les moyens de transport : prendre le vélo jusqu’à un arrêt de bus, etc. Le PETR aide les porteurs de projets qui travaillent sur la mobilité en sud Lozère. Il est en train de mener un diagnostic mobilité, communes par communes, de façon à proposer des solutions adaptées. »
Le vélo, une des pistes
Pour les communes du sud Lozère, une première opportunité de passer à l’action a surgi avec les fonds Leader. Celles-ci ont acheté des vélos électriques pour les mettre à disposition des habitants et leur permettre de tester ce moyen de locomotion. Ce service concerne Florac, Ispagnac, Meyrueis, Hures la Parade… et il est en train de s’étendre aux bourgs centres des vallées cévenoles. « À Florac, les vélos sont arrivés en août 2022, raconte Annick Rives, employée de mairie. Un premier bilan des questionnaire de satisfaction montre que les usagers s’en sont servis d’abord pour aller travailler et faire des courses. Via ce questionnaire, les habitants peuvent aussi s’inscrire à un groupe de travail sur le développement du vélo », une piste qui intéresse les collectivités. « Il y a des financements de l’État en matière de mobilité, y compris sur les aménagements de pistes cyclables que l’on ne pensait pas forcément adaptées, au départ, en territoire rural », commente Camille Le Bras. « Leur développement dépend du Département qui est en train de faire un diagnostic sur le sujet, complète Valérie Behr. Localement, les élus d’Ispagnac, Florac, Bédoues, Cocurès ont la volonté de développer ce moyen de transport au-delà d’une utilisation “loisir”. C’est compliqué car plusieurs acteurs interviennent suivant les routes empruntées : l’Etat pour les Nationales, le Département… Entre Ispagnac et Faux, une voie sécurisée devrait être aménagée en 2024. » Un projet de vélo école animé par l’Agence de mobilité lozérienne accompagnera également cette dynamique, sensibilisant la population à l’intérêt du vélo, manuel ou électrique, pour certains petits trajets. Les enfants bénéficieront d’ateliers pédagogiques dès la rentrée prochaine et les adultes de cours de remise en selle sur Florac les samedis en juin et en septembre.
Covoiturage, avantages, inconvénients
Si certains aménagements prennent du temps, freinés par la complexité administrative, le PETR travaille aussi sur des projets plus faciles à mettre en place comme l’organisation du covoiturage. « Oxymore, développeur installé à Ispagnac réfléchit à une application de covoiturage qui porte le nom de Liane, détaille Valérie Behr. Il ne s’agit pas de faire une énième application type blablacar mais quelque chose de souple et adaptée au monde rural sur un logiciel open source. Une version test devrait sortir prochainement, il faudra trouver une communauté pour la tester. »
De l’avis général, « il n’ y a pas beaucoup d’offres sur Blablacar en Lozère ». Et cette application viendra en appui des réseaux existants que les habitants ont créé eux-mêmes, avec leurs avantages et leurs inconvénients, sur internet pour être accessible sans téléphone portable ou sur whatsapp. « Cela fonctionne mais il faut tout le temps s’adapter aux horaires des autres » d’après Marie. Pour Isabelle, « c’est sympa de faire du covoiturage, même sur un petit territoire, cela permet de rencontrer des gens, de faire des découvertes. Mais beaucoup d’annonces sont postées le jour même. Pour se rendre à la gare par exemple, ce système est trop instable. » Anne-Lise est arrivée à Florac en septembre 2022 : « Mes demandes de covoiturage n’ont jamais abouties, j’ai toujours dû prendre ma voiture. Je n’en avais pas avant d’habiter en Lozère ! Ici on se sent abandonné par rapport aux transports. La mobilité pourtant, fait partie des besoins primaires. »
La solidarité avant tout
En l’absence de solution idéale, les habitants misent aussi sur la solidarité. « Actuellement, une amie me prête parfois sa voiture, mais elle va quitter la Lozère », s’inquiète Isabelle. « Les gens vont tous faire leurs courses au même endroit, ils ont l’habitude de se prévenir les uns les autres », complète Marie.
Le stop s’inscrit aussi dans cette solidarité. « Les horaires de bus ne collent pas toujours pour mes rendez-vous médicaux, surtout pour le retour, commente Denis. Je fais du stop. Cela marche très bien alors qu’ailleurs, c’est devenu un moyen obsolète face aux covoiturages programmés. Même les touristes prennent des auto stoppeurs en Cévennes. Il existe un climat favorable à cette pratique conviviale ».
Les associations qui œuvrent dans le social comme Quoi de neuf ou le Garage solidaire proposent aussi des solutions pour l’accès aux services administratifs et le retour à l’emploi. Et si pour l’instant les taxis solidaires ont disparu, « deux communautés de communes qui ont la compétence transport à la demande, réfléchissent à des petites lignes de transport collectif à la demande soit de mini navettes avec des horaires définis et un arrêt déclenché si on le demande pour permettre de rejoindre les lignes de bus de la Région », précise Valérie Behr. Pour Camille Le Bras, face à ces évolutions, une question est aussi de savoir « à quel point les habitants sont prêts à s’approprier de nouveaux modes de mobilité? Je suis optimiste, on sent une véritable envie de changer les modes de déplacements. L’expérience de la communauté de communes du Gévaudan, l’une des seules en Lozère à avoir pris la compétence transport, également, est inspirante. Celle-ci s’est lancée dans la mise en place d’une ligne fixe de co-voiturage jalonnée de neuf panneaux lumineux sur lesquels on peut choisir et afficher sa destination. Cette ligne démarre plutôt fort. Tout est gratuit. Rien ne passe par les réseaux sociaux, c’est vraiment un service solidaire. L’idée serait de l’étendre au reste du département. »
À noter
Cet article et les vidéos associées ont été réalisées entre mars et mai 2023. La ligne de bus Florac-Alès est maintenue pour l’hiver 2023-2024. Un service de transport à la demande est en train de se mettre en place dans certains secteurs. L »utilisation des lignes scolaires (sous conditions) devient également possible.
En savoir plus : Transports en Sud Lozère, site du PETR
Cévennes
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